
Forge et
Coutellerie
par Gérard HEUTTE


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La trempe sélective à l'argile
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Voici les opérations à suivre pour la réalisation d'une trempe
sélective à l'argile.
Je présente ma / une méthode et pas la méthode. Il existe
sans doute bien d'autres façons de faire.
Je n'aborderai ici que les trempes à l'huile ou au goop. Elles sont moins difficiles
que celle faites à l'eau. En outre, les risques
de casse ou de fissure sont moindres. L'acier ciblé par cette technique est du type
non ou faiblement allié.
Pour les photos, un gros merci au reporter : Mon fils Nicolas.
Utilité
La trempe sélective est une technique intéressante. Elle permet de donner
à une lame des qualités :
- Mécaniques. Le tranchant, trempé, donne une bonne coupe. Le dos de la lame,
non trempé reste souple.
- Esthétiques. La révélation montre la ligne de trempe (limite entre
la partie trempée et la partie non trempée).
Principe
La lame est partiellement revêtue d'une gangue à base d'argile. Cette enveloppe
est chauffée en même temps que la lame. Lors de la trempe, l'enduit restitue
la chaleur accumulée lors de la chauffe. La vitesse de refroidissement de l'acier au
voisinage de la gangue est fortement réduite et la trempe ne prend pas ! La partie
laissée nue est trempée.
Préparation de la lame
A l'issue du forgeage et des recuits, faire une émouture grossière. Il ne
faut pas aller à un niveau de finition trop avancé ! Les
irrégularités de surface aident l'enduit à tenir. Si besoin,
finir avec un papier abrasif à grain moyen (genre 120 ou 180).
Nettoyer la lame avec du produit vaisselle. Bien la rincer. Puis sous un filet d'eau ou
dans un petit bac, la frotter vigoureusement avec un morceau de charbon de bois, avant
de la rincer soigneusement. Ne pas l'essuyer, l'égoutter suffit amplement.
A ce stade, la lame ne doit plus être touchée !
Enduit
On parle un peu abusivement de trempe à l'argile, puisqu'en réalité,
l'argile n'est qu'un des composants de l'enduit utilisé.
Cette enduit sera composé comme suit :
- Argile (1 volume)
- Charbon de bois (1 volume)
- Silice ou sable non calcaire (1 volume)
L'argile (bien sèche) et le charbon de bois devront être broyés
finement à l'aide d'un mortier et d'un pilon. Ils seront ensuite tamisés
très fin. Le sable (ou la silice) sera aussi tamisé.

Ces composants peuvent être préparés à l'avance puis
stockés dans des boîtes hermétiques.
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L'enduit sera préparé sur une plaque en verre ou une tôle en y
déposant les ingrédients bien dosés.
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Mélanger avec une spatule jusqu'à homogénéité.
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Puis, humidifier avec un peu d'eau et mélanger. La consistence recherchée
sera celle de la crème fraîche.
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Les proportions données ci-dessus sont la base. Elles pourront varier en fonction
des matériaux eux-mêmes et de leurs propriétés. Si l'enduit se
fissure ou éclate à la trempe, il faut généralement diminuer
la dose d'argile.
En fonction des recettes, on notera parfois la présence de limaille de fer.
Pose de l'enduit
La pose de l'enduit se fera grâce à une spatule. On pourra utiliser un couteau
de peintre (artiste pas bâtiment) ou tout autre objet du moment qu'il est fin et
souple. On posera l'enduit d'un coté de la lame, par petites touches successives en
partant de la future ligne de trempe puis en remontant vers le dos de la lame. On essaiera
d'avoir une épaisseur à peu près constante.
Si l'enduit est difficile à déposer et à mettre en forme, il est
probablement trop sec. S'il s'affaisse, il est trop liquide.
On retournera la lame pour travailler le second coté. Si l'enduit tombe ou coule,
il était trop liquide. On procédera de la même façon pour l'autre
coté de la lame.
Pour finir, on ajoutera de l'enduit sur le dos de la lame pour rejoindre et sceller les deux
cotés.
L'épaisseur d'enduit devra être d'environ 3 à 4 mm. Dans le doute, mieux
vaut prévoir un peu trop. L'excédent pourra être enlevé
ultérieurement.
Si on a un peu débordé au niveau de la ligne de trempe, on peut tenter de
rectifier à ce stade ou plus facilement quand l'enduit sera sec.
Attention, la partie découverte (i.e. celle qui sera trempée) ne doit pas
remonter trop haut. Un tiers de la lame est un maximum. Dans le cas contraire, la lame
pourrait se briser sous les contraintes internes consécutives à la trempe.
Séchage de l'enduit
Le séchage de l'enduit peut se faire directement à la forge. C'est plus
rapide que d'attendre le séchage naturel.
Pour cela, on utilisera un feu pas trop fort. On proménera la lame doucement au
dessus du foyer. Ne pas précipiter le choses car l'enduit pourrait se fendre. Au
début, il ne se passe pas grand chose, puis on verra de la vapeur d'eau se
dégager de l'enduit.
Progressivement des zones sèches vont apparaître.
Continuer une chauffe douce jusque séchage complet. Prolonger de quelques minutes
pour sécher à coeur. Cette opération complète prend environ 15
minutes.
Lissage de l'enduit
Pour éviter des déformations éventuelles de la lame à la trempe,
il est souhaitable de régulariser la gangue d'enduit. On utilisera une vieille lime.
On lissera les deux faces, en veillant à conserver la même épaisseur
d'enduit de chaque coté de la lame. Le dos sera également
régularisé.
Cette opération est délicate. Il faut y aller tout doucement en appuyant
à peine sur la lime !
Il faut laisser une épaisseur d'environ 3 millimètres. S'il y a des trous ou des
manques, on peut tenter un rebouchage suivi d'un séchage. Mais c'est loin d'être
idéal ! Mieux vaut avoir un peu de marge en ne prévoyant pas trop juste
dès le départ.
A ce stade, on peut rectifier le profil du tranchant en grattant avec un petit stylet de
bois ou un tournevis manié délicatement les excédents d'enduit.
Cuisson de l'enduit
Comme une poterie, cet enduit doit être cuit. Dans un feu moyen, on chauffera la
lame en la posant sur le dos, bien enfouie dans le charbon de bois. Le tranchant peut
dépasser un peu sur le dessus. Faire bien attention à la pointe de lame
qu'il ne faut pas surchauffer.
Quand l'enduit sera rouge (au moins sur le dos de la lame), on pourra tourner la lame
à plat pour bien cuire alternativement les deux cotés. Ne pas sortir la
lame du feu et passer directement à la...
Trempe de la lame
Dès que l'enduit est cuit, placer la lame tranchant vers le bas. Chauffer doucement
jusqu'à la température de trempe. Bouger longitudinalement la lame pour avoir
une température homogène. Attention là aussi à ne pas
surchauffer la pointe. Quand la bonne température est atteinte, couper la ventilation
de la forge, laisser un peu la lame dans les braises en la bougeant un peu pour
homogénéiser la température.
Sortir la lame et tremper rapidement à l'huile (tiède) ou au goop. Voir
ci-contre.
Idéalement, l'enduit reste en place. S'il éclate, ce n'est pas synonyme
d'échec. Il faudra toutefois vérifier prudemment avec un polissage
rapide et une révélation (sans oublier de tester le
tranchant à la lime).
Finitions

Faire sauter la gangue d'argile. Nettoyer la lame. Puis, faire le revenu.
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On fera le polissage se fera de façon classique (backstand ou huile de coude). A ce stade,
on ne voit rien de spécial !
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Révélation
Au final, on révélera la ligne de trempe en répétant 3 ou 4
fois (jusqu'à un rendu visuel correct) les opérations suivantes :
- Immersion une minute dans du perchlorure de fer.
- Rinçage rapide à l'eau.
- Nettoyage des résidus d'oxydation à la paille de fer (ou avec un abrasif
très fin, grain 1000 ou plus).
Le perchlorure s'achète dans les magasins d'électronique (pour la bidouille).
Il est normalement utilisé pour la gravure des circuits imprimés.
Et impérativement pour finir : Nettoyer consciencieusement la lame avec de la
paille de fer et du liquide vaisselle ! Ce produit, fortement basique, neutralise
l'attaque résiduelle du métal par le perchlo.
Et voilà :
La lame avant son montage.
Et le
couteau fini.
Modification de la géométrie de la lame
Sans rentrer dans les détails, l'acier trempé est plus volumineux que l'acier
non-trempé (Ils n'ont pas la même structure cristalline). La trempe sélective
a donc naturellement tendance à modifier la forme des lames. Le tranchant se dilatant,
la lame à tendance à se courber (i.e. la pointe "remonte").
C'est pour cette raison que les katanas et tantos sont forgés droits et finissent
courbes !
NB : Cette déformation est d'autant plus prononcée que le ratio (partie
trempée / partie non trempée) est important. Si le tranchant est trop
découvert, la lame peut se briser ! On évitera donc de découvrir plus
d'un tiers de la hauteur de la lame.
De l'argile sur le tranchant
Une des variantes possibles pour les trempes sélectives est de recouvrir la
totalité du tranchant d'une fine couche d'argile. Une couche épaisse d'argile
emmagasine la chaleur et empêche la trempe. Une fine couche d'argile (de 1
à 2 dixièmes de millimètre) améliore la trempe en
accélérant le transfert de chaleur. En effet, une fine couche limite la
formation du film de vapeur consécutif à l'immersion de la lame dans le bain
de trempe. Elle ne stocke pratiquement pas de chaleur.
Coté pratique, faire un mélange un peu liquide, tremper la lame dans ce
mélange puis la secouer légèrement. On peut également appliquer
cette fine couche au pinceau.
La courbe ci-contre est une synthèse des données relatives à la trempe
à l'eau des sabres japonais.
Elle montre l'influence de l'épaisseur de la couche d'argile sur
le temps de refroidissement d'un acier chauffé à 800°C jusque 100°C.
On voit qu'une fine couche d'argile fait passer ce temps d'un peu plus de 2 secondes
à moins d'une seconde !
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